Ce second article issu de l'inauguration du Digital Culture Lab traite spécifiquement du sujet de l'Open Content dans le secteur culturel français. Si vous souhaitez consulter le premier article, dédié à l'innovation dans ce même secteur, rendez-vous ici.
L’ouverture des collections sur le web
L’Open Content est la mise à disposition par les musées de leurs fonds numérisés qui sont tombés dans le domaine public. Elle permet donc la valorisation numérique des collections. Ses égéries institutionnelles pourraient être le Rijksmuseum et le MetMuseum.
En France, l’inscription dans une démarche Open Content tarde à se mettre en place. On peut saluer les initiatives de Paris Musée, en 2019, et des musées de Reims qui ont initié cette démarche en 2020.
L’Open Content offre d’accroître drastiquement l’audience des contenus web à long termes. Cette initiative permet d’imaginer des événements de réappropriation des œuvres par les publics et de créer une communauté de marque. Cela peut aboutir à de nouvelles opportunités mercantiles. Par exemple, certaines organisations ont pu demander à leur communauté d’imaginer de nouveaux produits dérivés sur la base des œuvres accessibles librement, ce qui a permis la marchandisation de produits répondant à une demande formelle.
Plus largement, l’open content, en tant qu’open data, offre un champ d’expérimentation au secteur privé comme au secteur public pour voir émerger de nouvelles mises en applications. Pour rappel, c’est l’Open Data, dans le secteur alimentaire, qui a permis l’émergence de l’application Yukka. C’est l’Open Data, dans le transport,qui a permis TrainLine, etc. Ainsi, la création de nouvelles plateformes s’appuyant sur les données de l’Open Content peut permettre de nouvelles mises en correspondance d’œuvres.
Alors pourquoi la France tarde tant à mettre en place des initiatives d’Open Content ?
Un argument récurrent est la présence en interne d’un service de phototèque qui serait lucratif : la personne qui souhaite pouvoir réutiliser un contenu doit le commander auprès de la phototèque. Or, une étude de Douglas Mc Carthy met en avant que si l’on intègre l’ensemble des coûts d’une phototèque (équipes et ressources internes incluses), celles-ci sont généralement déficitaires ou très peu lucratives.
Autre argument parfois évoqué, l’open content ferait perdre de la valeur à la marque institutionnelle. Mais à nouveau, les expériences du Mets et du Rijksmuseum nous prouvent le contraire : quand ces institutions signent des partenariats pour la production de produits dérivés, l’argent en jeu ne concerne pas les droits d’usage d’une œuvre, mais bel et bien les droits d’utilisation de la marque, valorisant ainsi plus directement cette dernière.
Enfin, s’il était nécessaire d’inciter encore les organisations patrimoniales à s’inscrire dans une démarche d’Open Content, le Ministère de la Culture a mis en place, depuis 2022, une ligne budgétaire de 5 millions d’euros pour aider les institutions qui le souhaiteraient à expérimenter une démarche d’Open Content.
S’exposer sur Wikipedia
Wikipedia est une encyclopédie en ligne, ouverte et contributive, qui milite pour le partage universel de la connaissance. Elle offre un espace de visibilité pour les contenus culturels, puisque, rien qu’en France, presque 100 millions d’appareils différents s’y connectent mensuellement. (source : Wikimedia).
« Au sein des projets Wikimédia, GLAM (acronyme de Galleries, Libraries,Archives and Museums) désigne les acteurs culturels incluant les galeries, les bibliothèques, les archives et les musées, mais aussi les monuments, les photothèques, les théâtres, les zoos, les jardins botaniques, les radio diffuseurs publics et les événements culturels. » (source : Wikipedia)
Wikimedia se rapproche des GLAM pour améliorer ses contenus sur des sujets spécifiques. Elle propose des collaborations qui permettent à des organisations culturelles de documenter et de rendre accessible leur collection sur Wikipedia.
Malgré ces arguments en faveur de la découvrabilité du patrimoine culturel, les collaborations avec des institutions françaises sont encore peu nombreuses et mettent du temps à s’établir. La plus grande majorité des projets existants n’impliquent pas la gouvernance des organisations culturelles. La volonté d’ouverture des contenus semble portée par quelques individus isolés, au sein d’organisations variées.
Il faudrait une volonté politique, donc un objectif imposé par la tutelle pour impliquer directement la gouvernance de façon plus générale. La présence d’une ligne budgétaire dans les budgets du MCC est peut-être une incitation trop douce...
En 2013, un partenariat est signé avec les Archives nationales. La numérisation des œuvres est doublées dans Wikimedia et des contenus associés sont produits. Des partenariats émergent ensuite avec quelques musées qui ont une vision, une stratégie, numérique long terme. Mais le développement reste très timide.
Une étude a récemment permis d’identifier les principaux freins à l’ouverture de leurs contenus, par les organisations culturelles :
1. Elles craignent de perdre de l’argent, puisque l’ouverture des contenus rend la phototèque désuète.
2. Elles craignent que leur marque perde de la valeur.
3. Elles ne sont pas formées sur ces enjeux. Peu peuvent réellement saisir l’impact sur les ayants-droits.
4. Elles pâtissent d’un manque de partage en termes d’expériences d’ouverture de contenus réussies
Wikimedia France a créé des journées spéciales : « wikimedia culture et numérique », pour permettre aux institutions de découvrir les actions de Wikimedia et inviter au partage d’expériences inter-musées. Un label "culture libre" a été créé afin de récompenser les pratiques d’ouvertures des institutions (cf. ici). Elles peuvent ainsi aussi intégrer un réseau de professionnels, pour un partage de bonnes pratiques d’ouverture des contenus. En 2023, 16 institutions on reçu ce label.
Témoignage institutionnel
Nancy Musées a initié cette démarche d’ouverture des contenus, non pas en l’abordant pour un projet d’évolution de la gestion des collections, mais plutôt comme un projet de médiation numérique. En effet, l’ouverture des contenus sur le web s’inscrit dans une mission type des directions des publics : rendre les collections accessibles aux publics de manière égale, afin de participer au progrès de la connaissance globale.
Ce type de projet a pour objectif de rendre accessible le patrimoine institutionnel, profitant de la visibilité de Wikipedia. Ce site est une source de référence pour les moteurs de recherche du monde et assure un accès ouvert à ses connaissances. Par ailleurs, ces projets s’inscrivent dans le sillon de la Loi pour la République numérique de 2016 qui permet de bénéficier de la licence Etalab (cf. ici) contribuant à la transparence des données publiques.
Ainsi, l’ouverture des contenus culturels s’inscrit dans la perspective plus large d’open data, qui favorise l’innovation privée par l’ouverture des données publiques. Une fois les contenus ouverts, il peuvent être indexés dans des bases de collections exogènes à l’institution (e.g Joconde, OPACWEB, etc.), maximisant à nouveau la visibilité des œuvres et de l’institution qui les conserve.
Depuis 2019, Nancy Musée collabore avec Wikimedia dont les missions et valeurs convergent avec celles du secteur culturel patrimonial. Des contributeurs et contributrices Wikimedia viennent un week-end par an travailler sur les collections pour produire du contenu dédié et favoriser l’accès au patrimoine conservé par les institutions. Ce travail de référencement peut aussi servir la mise à jour des bases internes de gestion des collections.
Par ailleurs, l’exposition et la médiation autour des collections sur Wikipedia permet aux institutions de disposer de supports de médiations multilingues.
Un tel projet d'ouverture des collections nécessite pour l’administration d’être en capacité d’absorber la charge de référencement et d’indexation des contenus. Celle aussi qui la précède, consistant à disposer d’une vision claire des droits associés aux œuvres de la collection. Il faut une cartographie suffisamment précise pour identifier clairement les œuvres qui peuvent rejoindre Wikipedia. Puis, il faudra évidemment définir les processus métier qui assureront la mise à jour des contenus par la suite, pour maintenir l'actualité des informations.
Ainsi, Nancy Musées a engagé ce travail il y a 4 ans. Ces quatre années ne seront jamais que quatre itérations d’un processus qui doit s’intégrer au quotidien de l’institution pour en assurer la pérennité. L’ouverture des contenus doit donc être un enjeu stratégique pour assurer qu’elle s’actualise au fil des acquisitions et de l’évolution des droits avec le temps. Pour cette raison, la charte du label « culture libre » engage les élus des communes participantes. La gouvernance porte alors la responsabilité d’un sujet qu’il est souvent difficile de prioriser à l’échelle opérationnelle.
Conclusion 810.
L’ouverture des contenus culturels par une démarche d’Open Content est alignée avec les objectifs du secteur : partager son patrimoine à tous les publics, de manière égale. Cependant, sa mise en œuvre reste timide pour de multiples raisons : Il faut une vision claire et synthétique des droits des oeuvres ; Il faut allouer du temps à la mise en place d’un processus de partage formel avec des plateformes dédiées ; Il faut réorienter les équipes de la phototèques ; etc.
Aujourd’hui la mise en place d’une démarche Open Content est inégale au sein des institutions culturelles et dépend de l’initiative de quelques ressources plutôt que d’une volonté de la gouvernance. Si le Ministère de la culture a prévu, depuis 2022, une ligne budgétaire pour accompagner les institutions qui le souhaiteraient, celle-ci n’a pas encore été utilisée. Il faudrait une volonté politique plus large pour inciter ces organisations, qui ont nécessairement d’autres priorités, à agir. Si leur mission est la promotion d’un patrimoine culturel, cette mission s’est depuis toujours articulée autour de l’administration et de la promotion d’un lieu physique. Un projet d’Open Data privilégie l’expérience numérique avant l’expérience physique, et cette question est toujours controversée dans le secteur culturel français. Sauf, depuis peu, lorsqu'on parle d’art immersif. Mais l'objectif n'est alors pas vraiment l'ouverture du patrimoine, mais plutôt le développement des ressources propres. Deux approches très différentes de la technologie...